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Prologue - Arrivée - Cusco - Machu Picchu - Lac Titicaca - La Paz, Sucre - Potosí et ses mines - Salar d'Uyuni - Lima - Epilogue

Lundi 16/07 : La Cité Perdue

Levés tôt -une fois de plus-, nous avons pris un bus à Cuzco, destination le village d'Ollantaytambo. Là, nous embarquons à bord d'un train spécialement conçu pour les voyageurs (un train de touristes) qui doit nous amener à Aguas Calientes, plus au Nord, village étape pour la découverte du fameux site archéologique Machu Picchu. Les paysages qui défilent sous nos yeux changent de nature et d'apparence alors que nous diminuons d'altitude. A près de deux mille mètres, la végétation est tropicale, la forêt vierge a remplacé les hauts plateaux secs de l'Altiplano.

La ville d'Aguas Calientes, encaissée entre des hautes montagnes recouvertes de végétation épaisse, c'est tout un poème. "Ville" reste un bien grand mot. Tout en bas une voie ferrée, et la vie s'organise de part et d'autre de celle-ci, entre restaurants et boutiques de souvenirs. L'urbanisation se poursuit en montant sur le flanc de montagne autour de la seule rue bétonnée du village. Aguas Calientes, littéralement "Eaux Chaudes", un nom qui fait rêver. Elle doit d'ailleurs sa dénomination aux sources naturelles d'eau chaude qui jouxtent la zone urbaine. Mais au-delà de son nom, Aguas Calientes ressemble à une petite ville minière perdue au fin fond de l'Amazonie. Un mélange de forêt vierge et de ville frontière, un Far West amazonien. Même s'il est difficile de lui trouver du charme, les touristes y affluent. Ils y arrivent pour déposer leurs gros sacs à dos et passer la nuit, et le lendemain, ils montent en car au Machu Picchu. Nous y avons déjeuné, et en début d'après-midi, sommes montés dans un bus pour la Cité perdue.

La route en lacets qui monte à flanc de coteau est assez tortueuse, ce qui compense quelque peu le fait d'arriver au Machu Picchu par le moyen le moins charmant et le moins exotique, l'autocar. Ce n'est pas le Chemin de l'Inca, mais il faut faire un choix. Le bus s'arrête, après avoir gravi un dénivelé de près de cinq cent mètres. A côté des guichets de caisses pour accéder au site, un hôtel, le "Machu Picchu Sanctuary Lodge", qui fait partie de la même chaîne que le Monasterio de Cuzco. Quel dommage d'avoir mis cette verrue dans un endroit aussi magique. Business is business... un des effets néfastes du tourisme d'affluence dont je parlais plus haut.

L'entrée du Machu Picchu coûte relativement cher, en comparaison des autres sites archéologiques du Pérou. Mais le Machu Picchu n'a pas d'égal. Cette année, le tarif d'entrée pour un adulte est de vingt dollars par jour. Il faut repayer vingt dollars si l'on souhaite y passer une seconde journée, ce qui n'est pas superflu tant l'ensemble du site est vaste. Il y a encore un an, l'entrée pour un jour coûtait dix dollars et quinze dollars pour deux journées. En prenant comme référence le prix pour deux jours de visite, on remarque que les tarifs ont été multiplié par 2,7 en l'espace d'un an. Il semble que la raison soit de dissuader les visiteurs de venir, pour limiter l'afflux des touristes et contribuer à la préservation du site. En pleine saison, celui-ci pouvait accueillir jusqu'à mille visiteurs par jour, mais récemment, une mesure a limité le nombre d'entrées à cinq cents. Le Machu Picchu est menacé à long terme par l'érosion et il faut donc trouver une solution pour le protéger. Mais les autorités ont-elles trouvé la bonne en augmentant les prix d'entrée ? Cher ou pas, quand on fait le voyage jusqu'au Pérou, on passe rarement à côté du Machu Picchu, et les tarifs ne sont pas encore assez exorbitants pour dissuader les touristes de visiter la mythique Cité perdue que tout le monde connaît au moins de nom, même si très peu savent la situer. Mais une fois encore, ma carte d'étudiant m'a donné droit à un tarif préférentiel, la moitié du prix.

Pour visiter le Machu Picchu et l'apprécier pleinement, il est nécessaire de s'offrir les services d'un guide local. Car le voir, s'y promener, toucher ses murs et ressentir son atmosphère particulière, sont une chose, mais comprendre son histoire, sa signification en est une autre, indispensable pour l'apprécier pleinement comme il le mérite. Ainsi, nous avons passé près de trois heures en compagnie d'une guide, Luz-Marina, originaire de Cuzco, et qui pendant la saison sèche, de juin à septembre, habite à Aguas Calientes avec sa famille. Quel dépaysement !

Tout d'abord un peu d'histoire... La cité du Machu Picchu n'a été découverte qu'en 1911, par l'historien américain Hiram Bingham, ce qui signifie qu'elle a échappé à l'oeil avisé des Conquistadors espagnols. Seuls quelques paysans quechuas des environs connaissaient son existence, et c'est notamment grâce à eux que Hiram Bingham l'a découverte. Mais c'est plus le fait du hasard si l'historien a trouvé le Machu Picchu, car il recherchait en fait une autre "cité perdue", Vilcabamba, un peu plus loin au nord. Maintenant le site est impeccable, les ruines sont parfaitement nettoyées. Mais quand Sir Bingham est arrivé, l'endroit était recouvert d'une épaisse végétation tropicale où grouillaient serpents et autres adorables bestioles. Si le Machu Picchu constitue le vestige archéologique de l'époque inca le plus connu et le plus impressionnant, ironiquement il est aussi l'un des plus mystérieux et des plus méconnus. Différentes théories existent quant-à la fonction qu'il occupait à l'époque, et les historiens et archéologues restent très partagés à ce sujet. En raison de la qualité des ouvrages de pierre, et des nombreux monuments à caractère religieux, on pense que la cité fut un important centre rituel. On pense aujourd'hui que le Machu Picchu était déjà déserté à l'époque de la conquête, ce qui expliquerait que personne n'en ait parlé aux Espagnols.

En réalité, "Machu Picchu" n'était pas une cité au sens classique où nous l'entendons. Il s'agissait sans doute plutôt d'un domaine royal ou d'un centre religieux de retraite, très probablement construit sous le règne de l'Inca Pachacutec entre 1460 et 1470 au moment de l'apogée de l'Empire, car le style des constructions date de son gouvernement. Situé sur une route secondaire lointaine (l'actuel Chemin de l'Inca), et invisible depuis la vallée en contrebas, l'endroit n'était certainement pas un centre administratif, commercial ou militaire. On estime qu'un peu moins de mille cinq cent personnes pouvaient y vivre car la cité ne compte qu'environ deux cent bâtiments. Cent soixante-treize squelettes ont été découverts sur le site, enfouis dans plus de cinquante sites funéraires, et sur ce nombre, seuls treize appartenaient au sexe masculin ce qui laisserait penser que Machu Picchu était un sanctuaire pour les célèbres vierges du soleil. Mais de nombreuses énigmes restent à résoudre. La cité comprend de nombreuses terrasses où devaient certainement s'étaler autrefois des cultures, mais celles-ci sont en nombre bien trop grand en comparaison de la population de la ville à l'époque. La cité avait-elle aussi une fonction de grenier à blé en cas d'invasion ou de famine ?

[Je viens de lire dans un article de l’hebdomadaire espagnol «El País Semanal» du mois d’avril 2002 que Machu Picchu était en fait le tombeau royal de l’Inca Pachacútec qui régna sur l’Empire de 1438 à 1471. Le site archéologique abritait la momie de l’Inca, et les membres de la famille royale, essentiellement des femmes, avaient pour mission de veiller à la dépouille impériale. Mais où est la momie alors ?]

En 1525, à la mort de l'Inca Huayna Capac, dernier souverain à régner sur un empire unifié, le royaume inca fut divisé entre deux frères, la région du nord près de Quito (actuelle capitale de l'Equateur) pour Atahualpa, celle du sud autour de Cuzco pour Huascar. A la manière des sanglantes querelles de famille dont l'histoire est friande, les deux souverains se livrèrent une guerre féroce, chacun voulant dominer la totalité du territoire et régner sans partage sur l'héritage de Papa. Huascar avait la faveur du peuple, celui-ci ayant toujours vécu à Cuzco. Mais Atahualpa le guerrier, avait à ses côtés le soutien inconditionnel de l'armée. En 1532, après plusieurs années de lutte fratricide, coûteuse, infantile et stérile, ses troupes remportèrent la victoire finale sur Huascar qui fut capturé aux abords de Cuzco.

On pense que c'est durant cette époque troublée mettant aux prises deux factions rivales de l'Empire inca, que fut abandonnée et délaissée la cité du Machu Picchu, l'entretien de celle-ci s'avérant très vite ruineux et une grande partie de la population étant morte d'une épidémie, sans doute importée par l'arrivée des Européens et la Conquête.

La ville du Machu Picchu, avec au total près de deux cent constructions, peut être divisée en deux zones distinctes séparées par la place centrale, l'une abritant les bâtiments religieux, et l'autre les quartiers militaire et résidentiel. Dans la zone religieuse se trouvent les résidences du Clergé et des temples, notamment l'autel de l'Intihuatana, "point d'amarrage du soleil", et point le plus élevé de la ville. Celui-ci est un pilier sculpté dans la roche indiquant l'époque de l'année, les astronomes incas pouvant en effet prédire les solstices grâce à ses différentes facettes. A droite de l'imposante et verdoyante place centrale qui sépare la ville en deux, se trouve la majeure partie de la cité, composée des quartiers militaire et résidentiel à l'architecture moins élaborée que celle de la partie religieuse.

Nous prenons le dernier bus pour Aguas Calientes un peu avant dix-huit heures, et effectuons le trajet de nuit. Après chaque tournant, un petit garçon de sept ou huit ans nous fait de grands signes, et lorsque nous arrivons à son niveau, il pousse un long cri comme s'il avait un mal d'estomac atroce ou si on venait de lui casser son jouet préféré. Tel un fantôme, il apparaît à chaque fois, après chaque tournant, aveuglé par la lumière de nos phares. Mais comment fait-il ? Est-ce que c'est toujours le même ? Oui, c'est un petit garçon en chair et en os qui n'a rien d'un spectre ou d'un fantôme. Il emprunte un chemin qui traverse tous les virages et qui est donc perpendiculaire à la vallée. Mais même si je connaissais déjà l'astuce, pour avoir vu un reportage à la télévision sur le Machu, je n'en restais pas moins étonné par les prouesses du gamin. Le bougre doit courir comme un lapin pendant près de vingt minutes, avec ses fines gambettes et ses petites sandalettes. Je ne sais pas à quoi ressemble le chemin, s'il y a des marches ou pas, s'il est accidenté ou non. Mais j'imagine que c'est un "métier" plutôt périlleux et il n'est peut-être pas rare qu'un des bambins -car ils sont plusieurs à faire cela- se casse la figure [Je confirme que le chemin n'est pas des plus faciles : Un de mes amis qui l'a emprunté m'a rapporté qu'il s'est foulé la cheville en descendant !]. Cela étonne, cela impressionne, fascine, fait sourire, mais c'est symptômatique d'un phénomène social beaucoup moins rose, le travail des enfants. Ce bambin représente un revenu pour sa famille et chaque soir il ramène quelques soles à papa et maman, ce qui pourra permettre de compléter le salaire du père de famille, toujours insuffisant. Ce n'est pas de la maltraitance infantile, de la cruauté, ou de la négligence, c'est de la nécessité pure et simple ce qui est encore plus tragique.

Mardi 17/07 : Sur le Toit du Monde

Nous remontons au Machu Picchu, mais cette fois-ci de bonne heure. Le premier bus part à six heures et demi et nous permettra d'assister au lever du soleil sur les ruines. Contrairement à la journée d'hier au temps maussade et gris, celle d'aujourd'hui s'annonce radieuse. Le ciel est bleu et pas un nuage ne pointe à l'horizon pour voiler le soleil. Une fois entrés sur le site, nous prenons de la hauteur pour admirer la cité dans son ensemble, avec en arrière-plan le Wayna Picchu, la montagne que l'on voit sur toutes les cartes postales, et qui selon moi, ressemble un peu au Pain de Sucre de la baie de Rio. Vers sept heures et quart, les premiers rayons du soleil apparaissent et éclairent la ville déserte. C'est un vrai enchantement que de la voir s'illuminer au fur et à mesure, petit à petit, et sans un passant pour nous gâcher la vue. Les touristes sont bien-sûr présents, les "lève-tôts" tout du moins, mais ils sont au même endroit que nous. La lumière du matin est la meilleure pour la photographie, et pour l'oeil également. C'est à cette heure je pense qu'il est le plus intéressant de découvrir le Machu Picchu, car il y a peu de monde et la luminosité est exceptionnelle. Pour être exact, Machu Picchu qui signifie en quechua "vieille montagne" n'est pas le nom de l'ensemble du site, ni même de la cité en elle-même, mais simplement celui de la montagne sur laquelle s'adosse la ville, celle qui est située au nord, à l'opposé du Wayna Picchu par rapport à la cité.

Sur les douze membres du groupe, sept se sont décidés à gravir le Wayna Picchu, dont moi -évidemment !-. Il nous faut tout d'abord traverser l'ensemble du site, et avant de commencer la montée, nous devons signer un registre dans un petit cabanon, une sorte de décharge pour les autorités qui veulent se laver de toute responsabilité. Nom, prénom, âge, nationalité et heure de départ. J'aurais dû passer à la fin du groupe pour connaître l'âge de la guide... Il est huit heures quand nous nous lançons à l'assaut de la montagne, et d'après le registre déjà près de dix personnes nous précèdent. Le mont Wayna Picchu, le "jeune pic", culmine à près de deux mille sept cents mètres d'altitude. La place centrale de la cité est située à deux mille cinq cents mètres, mais il nous faut descendre de cent mètres avant de commencer l'ascension du Wayna. Pour résumer, nous avons gravi un dénivelé de trois cent mètres. Ce n'est certes pas très impressionnant, mais la montée est très raide et les marches sont hautes. Il faut être en bonne condition physique pour effectuer le parcours, mais celui-ci n'a pas de difficulté ou de danger particuliers.

A un pas plutôt soutenu, nous avons pris une heure pour arriver au sommet du Wayna Picchu. Quelque peu avant la fin de la marche, il nous faut passer dans une petite grotte, un étroit couloir de quelques mètres qui monte. J'ai eu la bêtise de garder mon sac sur le dos, et j'ai du m'employer comme une limace pour sortir de ce trou. Arrivés au sommet, sur des grandes pierres plates, nous contemplons toute la vallée autour du pic. Le toit du monde ! Deux cent mètres en-dessous, la cité du Machu Picchu, dans une perspective inédite que je n'avais encore jamais vue sur aucune carte postale. Ce n'est pas la meilleure vue du site mais celle qui permet le mieux de réaliser la vaste étendue qu'il représente. La descente est plus rapide et ne prend qu'une demi-heure et heureusement qu'il y a des cordes pour s'agripper, car la pente a un fort pouvoir d'attraction. Ils sont fous ces Incas d'être allés tailler des marches jusqu'ici !

Avec une partie du groupe, je m'engage ensuite dans la direction opposée du Wayna Picchu par rapport à la cité. Nous marchons sur le Chemin de l'Inca, dans le sens inverse, pendant près d'une heure. Nous croisons un groupe de porteurs avec sur leur dos, des gros sacs bien chargés, et à leur pieds, des petites sandalettes de cuir. Ce sont les porteurs accompagnant les voyageurs qui ont choisi d'arriver au Machu Picchu par le Chemin de l'Inca. La plupart des gens démarrent au kilomètre quatre-vingt-huit sur la voie ferrée entre Ollantaytambo et Aguas Calientes. D'autres l'entament déjà au kilomètre quatre-vingt-deux, tandis que les derniers qui choisissent la formule courte, deux jours, commencent "seulement" au kilomètre cent quatre. La version longue dure, elle, près de cinq jours et pendant tout ce temps, des porteurs locaux se coltinent vos bagages. La rumeur prétend que le parcours ne comporte pas de réelle difficulté, mais il faut tout de même franchir à pied un col à plus de cinq mille mètres, ce qui en y réfléchissant bien n'est pas si facile. Impressionnant tout de même... On peut dire qu'on a mérité le Machu quand on choisit le Chemin de l'Inca.

Nous marchons jusqu'à la Porte du Soleil qui nous laisse admirer une nouvelle vue inédite de la cité. Et de l'autre côté s'ouvre une nouvelle vallée, et le Chemin de l'Inca continue, perdu dans une épaisse végétation tropicale. Certains de mes amis vont pousser un peu plus loin, mais quand je vois le chemin qui descend, je pense tout de suite qu'au retour il faudra se farcir la montée. Le jeune couple de professeurs d'histoire géographie et moi décidons de retourner au Machu Picchu, satisfaits de notre journée de marche. Vers seize heures, nous prenons un bus pour redescendre à Aguas Calientes.

Le Machu Picchu c'est fini... peut-être y reviendrai-je un jour. Ce fut une très belle expérience, et le lieu vaut réellement la peine d'être visité car il est à la hauteur de sa renommée. Mais je m'interroge sur sa situation présente et plus encore sur son avenir. Le tourisme de masse et l'argent facile ne lui ont-ils pas fait perdre son esprit et son cachet originels ? Oui pour certains et non pour d'autres. Mais à mes yeux, une grande part du rêve et du mystère que le Machu Picchu a pu susciter autrefois s'est aujourd'hui envolée. Il en va sans doute ainsi de beaucoup d'autres lieux mythiques de par le monde, qu'il s'agisse de paysages ou de monuments architecturaux. Nous voulons tous un jour ou l'autre jouer les aventuriers, les découvreurs de cités perdues encore intactes et préservées, ignorées par la "civilisation", épargnées par l'homme moderne. Mais de tels lieux existent-ils encore ?

Vers dix-neuf heures, nous prenons le train de nuit pour Ollantaytambo, et de là, un bus pour Cuzco. Après une heure et demi de route, nous arrivons dans la vallée de Cuzco et ses trois cent mille habitants. De nuit la vue d'ensemble est tout simplement époustouflante, encore plus quand on vient juste de se réveiller et qu'on émerge du brouillard. Les lumières sont partout, la ville semble infinie. Bientôt nous faisons corps avec elle pour disparaître en elle. C'est notre cinquième et dernière nuit à Cuzco et je regrette déjà son ambiance particulière de ville hors du temps.